Paris, 07/12/2022
Le texte de Yusuf Selman Inanç reprend bon nombre de ces informations.
Bien sûr, vu du côté turc ! Parce que, il faut le rappeler, Bender, en Bessarabie (aujourd’hui Tiraspol), bien que sous suzeraineté turque à cette époque, est de nos jours la « capitale de l’état croupion » de Transnistrie !
Pour mémoire : La Transnistrie — du préfixe « trans », signifiant « au-delà », et de Nistru, nom roumain du fleuve Dniestr —, en forme longue la république moldave du Dniestr (en russe : Приднестровская Молдавская Республика ; en ukrainien : Придністровська Молдавська Республіка, en moldave/roumain : Република Молдовеняскэ Нистрянэ/Republica Moldovenească Nistreană… etc., etc.
Et où la population se répartit comme suit : Les groupes ethniques les plus importants en 2015 sont les Russes (161 300, 34 %), les Moldaves (156 600, 33%) et Ukrainiens (126 700, 26,7 %).
Quelle salade (russe) !
Mais, ce qui nous intéresse, maintenant, ce sont les dernières lignes du texte repris dans la revue « Courrier international » :
« Cependant, ce séjour de Charles en terre ottomane ne laisse pas que des dettes impayées. Le roi et les Suédois qui l’accompagnaient en rapportent des mets turcs. Le kaldolmar suédois, ou chou farci, est une variante du dolma. Le plus important est peut-être le fait que les fameuses boulettes de viande suédoises (les köttbullar) trouvent leur origine dans les Kofte turques, dont la recette fut introduite en Suède par Charles et son entourage. »
Je dois préciser, à ce point de mon récit, un « détail » peu connu par ceux qui ne pratiquent pas tous les jours… la cuisine roumaine.
Dans un texte, intitulé :10 Aliments Roumains Que Vous Devriez Certainement Essayer (Culture et traditions roumaines) on peut lire :
« Venir en Roumanie représente une joie pour tous les amateurs de voyages et amateurs de nourriture, car il existe une telle richesse en matière de cuisine traditionnelle et vos sens seront absolument gâtés avec des saveurs incroyables et intenses. La cuisine roumaine n’est pas chic comme la française par exemple, ni trop épicée, ni très compliquée, mais pourtant intéressante et accueillante, en bref, la nourriture de confort à son apogée ! »
Et, à la première place des mets typiquement roumain, on trouve :
Sarmale
Considérée la nourriture nationale, ces rouleaux de choux farcis ont en fait des origines turques, mais les Roumains affirment que les leurs sont meilleurs et ils ont probablement raison.
La recette initiale a été fortement transformée au fil du temps jusqu’à ce qu’elle soit considérée comme la farce parfaite, un mélange équilibré de riz et de viande hachée (généralement de porc ou de porc combiné avec du bœuf) et d’autres légumes et herbes locales, roulés dans des feuilles de chou (le meilleur à l’aide de choux marinés) ou de jeunes feuilles de raisin pour une saveur délicate. Les rouleaux de choux les plus savoureux sont ceux qui ont été cuits lentement dans des pots d’argile au four, recouverts de peu d’eau, d’une saumure de chou pour l’acidité et des tranches de bacon traditionnel pour une touche de fumée savoureuse. Traditionnellement servi avec la « mămăliga » (il s’agit d’une farine de maïs remplaçant le pain dans de nombreux plats traditionnels) et de la crème sure, les « sarmale » roumaines ne sont pas seulement délicieuses mais très crémeuses, cohérentes et totalement satisfaisantes.
Miam, miam !
Seulement, cette définition, aussi alléchante qu’elle soit, est TRES simplificatrice !
Je vais tenter d’expliquer mon affirmation.
Il est, toutefois, évident que, pour arriver à se dépatouiller dans les dédales des « sarmale » à la roumaine, il faut être un spécialiste de la gastronomie de ce pays. Ce qui, même si je suis un consommateur averti, n’est pas mon cas !
Je vais faire appel, donc, à un vrai « spécialiste » …j’ai nommé Radu Anton Roman !
Radu Anton Roman, né le 19 août 1948 à Făgăraș et décédé le 29 août 2005 à Bucarest, est un journaliste, écrivain et producteur de télévision roumain, surtout connu pour ses écrits sur des thèmes culinaires. Epicurien, il meurt d’une crise cardiaque le 29 août 2005 à Bucarest.
Il est l’auteur, en particulier, du livre : Savoureuse Roumanie : 358 recettes culinaires et leur histoire, éditions Noir sur Blanc, 2004
J’ai rencontré Radu Anton Roman en 2004, à Sète, à l’occasion des 9éme « Rencontres Franco-Roumaines en Méditerranée ». A cette occasion, il nous a parlé de la cuisine du Delta du Danube, le thème de cette réunion.
Nous avons discuté de la possibilité de collaborer dans le cadre d’un nouveau projet : les mets roumains hérités de la cuisine internationale et leur « adaptation » locale.
Nous n’avons pas parlé, spécifiquement, des « sarmale », même si ce sujet entrerait dans le cadre de ce thème. Malheureusement, Radu Anton Roman nous a quitté… par surprise !
Mais, dans son livre « Savoureuse Roumanie » il listait, déjà, huit variantes de « sarmale », en fonction de la farce employée, de la région d’origine, voire… de la forme du « produit fini » !
Ainsi, on peut énumérer :
- Sarmale à l’urda,
- Sarmale à la moldave,
- sarmale à la Munténienne (Valachie),
- sarmale au poisson,
- sarmale de carême,
- sarmale de Transylvanie,
- sarmale en feuille de vigne,
- sarmale en potiron…
Et puis, il y a le chef-d’œuvre, le « Michel-Ange » des sarmale : « Les nids de cinq » (Cuiburi de cinci) !
Moi, j’ai découvert cette spécialité dans le livre de Radu Anton Roman :
« Nos « sarmalâtres » ne savent plus quoi inventer de neuf ! Il ne leur suffit pas de les faire d’une façon en Moldavie : petites sarmale, guillerettes, et d’une autre en Transylvanie : bonnes grosses sarmale, enrichies de viandes fumées, et encore différemment en Valachie, où elles sont juste comme il faut ! Non seulement ils les font tantôt avec du riz, tantôt avec du maïs grossièrement moulu, enroulées dans des feuilles de vigne ou de radiaire, pour le carême, à la ricotta !… Voilà qu’ils en sont arrivés à réaliser des sarmas dans les sarmas, comme le théâtre dans le théâtre, non point qu’on ne sache plus s’il s’agit d’un honnête plat ou d’Hamlet !
Vers Prislop, dans les montagnes de Bucovine, on fait les meilleures feuilles de chou farcies à la viande. Personne d’autre que moi ne vous en parlera, car c’est un plat que l’on prépare rarement, et à grand frais.
A Cârlibaba, dans la famille de l’ingénieur Epaminondas Amariuței, j’en ai mangé il y a deux ans, à l’occasion d’un repas de baptême de cent couverts (nous sommes près de la Bistrița Dorée !). J’ai donc dégusté ce que les Romains les plus pervers n’avaient pas su inventer : cinq feuilles de chou farcies à cinq viandes différentes, sans les mélanger, et « nichées » toutes les cinq dans une autre grande feuille de chou ! »
Je ne rajouterai pas les deux pages qui listent les ingrédients, la façon de les préparer, les astuces à connaître pour les réussir etc., etc.
Je ne nommerai pas non plus
« ce vin de Transylvanie, au parfum de foins oubliés sous la pluie, aux couleurs de vieil or, retrouvé sous les pierres d’un temple, avec ce goût fort provoquant et sûr de sa toute-puissance (qui) serait le seul à pouvoir éclaircir l’énigme insolente des sarmale en nids, des flancs de montagnes de Rodna. »
Il y a des choses que l’on ne peut comprendre que… sur place. Toute description, même la plus poétique, pâlit devant la réalité !
Mais, je me contenterai de citer, encore une fois! , Radu Anton Roman pour éclaircir le rôle « capital » des sarmales dans la culture gastronomique roumaine :
« J’aimerais me faire bien comprendre : ce que je veux vous montrer n’est ni vraiment original, ni unique. Nous vivons en Europe, que diable !
Par exemple, on trouve les sarmale (prononcer « sarmalé »), ces feuilles de chou farcies, aussi bien chez les Turcs que chez les Grecs ou les Polonais. Mais nous autres, Roumains, nous les avons agrémentées de lard fumé, d’aneth, de crème fraîche, d’épices de toutes sortes, de champignons ou de légumes, nous avons remplacé les feuilles de chou par des feuilles de vigne, de tilleul, d’oseille-épinard, ou encore de betterave ou de raifort, nous les avons mariées à la blonde et riche mămăligă ; elles sont devenues indispensables à toute fête, tout enterrement ; chaque bistrot roumain en mitonne sa marmite. Elles sont devenues une obsession et une légende nationale, on les chante dans les refrains populaires, les poèmes, les hymnes.
On en trouve même dans les contes de fées ! »**
* * *
Toutes ces considérations, aussi utiles soient-elles pour le « novice » non-familiarisé avec la gastronomie roumaine, m’ont éloigné du but de ma sortie : la célébration de la Fête nationale à l’Ambassade de Roumanie.
Mais, avant de parler de la célébration et de ses suites, essayons de présenter le cadre de cet événement.
« L’hôtel de Béhague, ou de Béarn, est un hôtel particulier situé à Paris en France. Il abrite l’Ambassade de Roumanie en France.
Construit en 1866 pour le comte Octave de Béhague par Gabriel-Hippolyte Destailleur, cet hôtel particulier est réaménagé et agrandi en 1895–1904 par Walter-André Destailleur pour Martine de Béhague, comtesse de Béarn. Elle y installe sa collection artistique, historique et littéraire éclectique.
Le 29 mars 1906 y est inauguré le théâtre privé de la comtesse, la salle Byzantine, rénové par Mariano Fortuny y Madrazo et dont l’aménagement technique est revu par Adolphe Appia.
Cette salle comprend un orgue du facteur Charles Mutin, successeur d’Aristide Cavaillé-Coll, construit en 1906. Cet orgue de 26 jeux, deux claviers et un pédalier de 32 notes possède une remarquable soufflerie hydraulique, quasi unique dans l’histoire de la facture d’orgue. Cet orgue est classé au titre des monuments historiques depuis le 10 juillet 2007.
Acheté en 1939 par Carol II, cet hôtel particulier abrite depuis cette date l’Ambassade de Roumanie.
Ce bâtiment fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le 25août2003. »
Je ne connais cet endroit merveilleux que depuis 1990. Les raisons pour lesquelles je n’y ai pas mis les pieds auparavant, ont été clairement indiquées au début de ce texte.
Mais, en 1990, le premier ambassadeur de la Roumanie post-communiste fût Alexandru Paléologue, un ami de ma famille… de très longue date.
Par son intermédiaire, j’ai fait la connaissance de Andrei Magheru, l’attaché culturel de l’ambassade, qui allait devenir, par la suite, ambassadeur de Roumanie auprès de l’UNESCO.
Au cours d’une conversation à bâtons rompus, il m’a précisé que la première tâche que lui a assigné l’ambassadeur était de faire classer le bâtiment de l’Ambassade au titre des monuments historiques. Comme je venais d’avoir des contacts avec la Commission concernée, j’ai pû lui indiquer le cheminement et la personne en charge de cette procédure. Je me sens, donc, un peu « partie prenante » dans cette opération.
Par la suite, j’ai fouillé et essayé de mieux connaître l’histoire et les achèvements de Martine de Béhague, comtesse de Béarn, personnalité de premier plan du monde artistique européen de la première moitié du XXe siècle. Le texte qui raconte mes trouvailles attend depuis… une dizaine d’année d’être écrit ! Mais, il s’enrichit de jour en jour !
On comprend aisément le plaisir que je ressens en retournant dans ces lieux.
Encore plus, un jour de Fête nationale roumaine !
Qui plus est, 2022 étant l’année du centenaire du Couronnement des rois de la Grande Roumanie, une exposition rappelant cet évènement et son retentissement en France est présentée dans l’entrée de l’Ambassade.
* * *
La soirée a commencé par les hymnes nationaux (français et roumain), les discours des officialités (ministres, ambassadeurs, maire etc.) suivi par un court programme artistique.
Quand un orchestre de jazz roumain a commencé sa présentation, est arrivé le moment tant attendu : l’ouverture du buffet !
Les invités ont commencé à naviguer entre les différents salons, à la recherche d’amis ou connaissances et en picorant, au passage, dans les plateaux présentés, si joliment colorés.
Très vite, les présentoirs profonds aux sarmales fumantes ont concentré l’attention des invités.
Le tout, arrosé de vins roumains (Fetească rouge ou blanc). On aurait dit que même les personnages si légèrement vêtus du tableau de Boucher lorgnaient vers la grande table de la Salle à manger !
Quant à l’immense mascaron grotesque voisin, en marbre blanc, il se léchait déjà les babines !
Au bout d’un long moment, quand ceux présents dans les salons se sont un peu dispersés, je regardais d’un air songeur la centaine de sarmale encore si tentantes.
Et c’est ainsi que je me suis souvenu d’un moment particulier de mon histoire.
C’était il y a 12 ans. Mon père, à 102 ans et très fatigué, se trouvait dans une clinique parisienne. Alors, un ami a eu une idée lumineuse ! « Si on lui apportait un plat de sarmale ? »
Nous l’avons fait : ce fût sa dernière joie ! Une semaine plus tard, il nous quittait pour un monde où l’on peut choisir, certainement, ses sarmale préférés.
A ce moment, j’ai entendu, derrière moi, une voix féminine qui susurrait : « Vous ne voulez pas emmener quelques sarmale pour la maison ? Je vous les apporte bien chaudes et elles resteront comme ça jusque chez vous ! »
Comment peut-on refuser une telle offre ?
C’est ainsi que, pendant deux jours, je me suis senti… comme le roi de Suède, Charles XII, à Tiraspol !
Caesar males trasnice* !
Adrian Irvin ROZEI
Paris, décembre 2022
–
*Non ! Ne vous jetez pas sur votre « Dictionnaire des citations et dictons latins ». Cette citation… n’existe pas !
Elle est la transcription phonétique approximative, à qui l’on a donné une présentation latinisante, de l’affirmation en roumain : « Ce sarmale strașnice ! »
Ce qui signifie, en français : « Quelles sarmale merveilleuses ! »
C. Q. F. D. !
** Dans la longue théorie de Radu Anton Roman liée à l’origine des « sarmale », on peut y lire :
« D’une part, les Daces et en général tous les Européens de l’Antiquité mangeaient du chou. De grandes quantités, vraiment, le chou étant un de nos rares légumes archaïques. D’autre part, dans la région de Hațeg, berceau des Daces et centre de leur culture, les sarmale s’appellent tout simplement sarmas.
Cette réalité irréfutable nous conduit tous, si nous avons tant soit peu de rigueur, à cette question bouleversante et révolutionnaire : Sarmisegetuza, la capitale de la Dacie antique, n’aurait-elle pas été la ville des sarmas ?
La cité de l’abondance, la polis de la débauche culinaire, l’urbs des Lucullus et d’autres Tantales, la citadelle du dieu Flămânzilă (« l’Affamé »), la capitale des idéaux farcis, une sorte de Sodome et Gomorrhe de la grande bouffe, pour tout dire ne serait-elle pas, par hasard, située ici, dans la région de Hațeg ?
Voilà qui changerait totalement notre perspective sur l’Antiquité et ses valeurs, qui reformulerait les mythes préchrétiens et obligerait Homère à considérer son œuvre. Quant à l’origine arabo-gréco-turque du mot sarmale, que dire ? »
Sans aller aussi loin que Radu Anton Roman dans des considérations historiques, moi, je me pose une question liée à une réalité bien plus récente : « Le choix du mois de décembre pour la Fête nationale, il y a une trentaine d’années, ne serait-il pas une justification de plus pour pouvoir consommer des sarmale… sans modération ? Et un « galop d’essai » en vue des fêtes de fin d’année en perspective ? »
Voici un sujet qui mériterait toute l’attention des historiens spécialistes de l’époque contemporaine !