Caesar males tras nice ! (I)

Paris, 07/12/2022

Hier, vers 17 heures, je me dirigeais vers la station de métro proche de ma maison.  J’étais un peu stressé ! Et pourtant, il n’y avait aucune raison.

J’allais à l’Ambassade de Roumanie pour participer à « une action » (comme on dit dans le milieu diplomatique roumain !).

De quoi s’agissait-il ? Simple ! Je répondais à une invitation, reçue quelques jours auparavant, qui disait :

« A l’occasion de la Fête Nationale roumaine, Madame Sena Latif, Chargée d’affaires a.i. de l’Ambassade de Roumanie à Paris et Madame Simona Junescu, Gérant intérimaire du Consulat Général ont le plaisir de vous inviter à la réception qui aura lieu mardi, le 6 décembre 2022, entre 18h00 et 20h00. »

Ensuite, l’on précisait l’endroit : Hôtel de Béhague, 123, rue Saint-Dominique, 75007 Paris.

Ce n’était pas une première, en ce qui me concerne. Je participe aux Fêtes Nationales roumaines depuis… une trentaine d’années.

Avant 1989, j’évitais… même la rue où se trouve l’Ambassade de Roumanie !  Sauf quelques fois, dans les années ’80, quand nous nous sommes retrouvés, entre amis d’origine roumaine ou française, devant l’Ambassade pour manifester contre les « décisions absurdes du régime absurde » installé à Bucarest.

Grâce à Dieu ! Ces temps de triste mémoire sont révolus !

Dans un premier temps, au début des années ’90, les manifestations de l’Ambassade, comme celles du Centre culturel voisin, présentaient un caractère « rustique », qui amusait beaucoup mes amis, que « j’invitais » (à quel titre ?) régulièrement. Il s’agissait, pour moi, de faire connaître à mes amis français le pays où je suis né et leur faire découvrir un autre visage que celui présenté à longueur de journée par les mass-médias, passionnés exclusivement par les aspects scandaleux de tout évènement. En Roumanie… ou ailleurs !

Je me souviens de leur étonnement quand ils apprenaient que les jeunes gens d’un groupe folklorique avaient passé 20 heures, serrés dans un bus, pour venir danser ou chanter deux heures à Paris. Mais qu’ensuite, au lieu de se reposer, ils partaient se promener toute la nuit dans Paris, avant de repartir, le lendemain, toujours en bus, vers leurs villes ou villages d’origine.

Ou des invitations à un pot amical, après une soirée culturelle, où les plats avaient été cuisinés par les épouses des membres des services de l’Ambassade, y compris ceux du Corps diplomatique. 

Encore une fois, ce sont des « jolis souvenirs du temps passé », comme chantait Brassens.

Entretemps, moi aussi j’avais pris « de bonnes habitudes » !

D’abord, j’ai amené avec moi des amis français, espagnols, mexicains, italiens, israéliens… que sais-je ? Je dois l’avouer : j’étais un peu intéressé !

J’espérais qu’ils allaient « réciproquer », selon la formule de l’un de mes agents des années ’70. Peine perdue ! J’attends encore l’invitation dans leurs ambassades !

A partir du début des années 2000, quand j’ai commencé à fréquenter les ambassades de Roumanie en Amérique Latine, je me suis débrouillé pour me trouver « par là-bas » autour du 1er décembre, le jour de la Fête Nationale. Ce qui m’a permis de participer, à plusieurs reprises, aux réceptions données par les Ambassades de Roumanie au Chili, en Argentine et même au Pérou.

D’ailleurs, mon dernier « 1er décembre » dans une Ambassade de Roumanie a eu lieu en 2019, à Buenos-Aires !

Après quoi, ont suivi deux années de pandémie, pendant lesquels il n’y a pas eu de réception.

Voilà pourquoi, après 4 années « d’absence » à ces R. V. traditionnels… j’étais « un peu tendu » !

Il faut dire que ces évènements prennent, aussi, un caractère personnel : c’est l’occasion de revoir des amis ou des connaissances que l’on rencontre rarement. Aussi bien, des amis d’enfance, des personnalités politiques ou culturelles, des gens de passage à Paris, qui font partie de la « nébuleuse roumaine internationale », que l’on retrouve ou dont on fait la connaissance, grâce aux relations… des uns et des autres !

Encore un motif d’inquiétude après 4 années d’absence… et une pandémie : qui y sera et qui n’y sera pas ? 

En route vers la station de métro, je me suis arrêté au kiosque à journaux voisin. Je me demandais « qu’est-que j’allais lire pendant les 40 minutes du trajet ? »

Un peu par élimination, j’ai choisi la revue « Courrier international -no. 1674 du 1er au 7 décembre 2022 ».

Et, voilà la bonne surprise ! A la page 58, dans la section « histoire », je tombe sur un article intitulé : « Charles XII de Suède, un boulet pour les Turcs ».  Le texte est signé Yusuf Selman Inanç et il a été publié le 14 juin dans la revue Middle East Eye de Londres.

Les sous-titres en disent long sur le sujet de l’article :

« 1709 – 1714 Suède-Turquie

Quand le roi scandinave se réfugie chez les Ottomans après sa défaite face à la Russie, son train de vie est si luxueux que ses hôtes font tout pour s’en débarrasser. 

L’entretien du roi suédois coûte si cher aux Ottomans que Charles est surnommé « Demirbaș Sarl » (« Charles Poids mort »).

J’avoue que, « toute affaire cessante », je me suis lancé dans la lecture de ce texte. Son sujet m’est d’autant plus connu que… j’ai écrit moi-même un article mentionnant cette « aventure » en 2001.

Il a été publié (en roumain) dans la revue « Dorul », éditée au Danemark, là où j’ai fait mes « classes » dans le « journalisme d’investigation », entre 2000 et 2007, quand son rédacteur a arrêté sa parution.

Voici le texte écrit à cette époque (en traduction française) :

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Charles XII, roi de Suède entre 1697 et 1718, est l’un des personnages les plus controversés, mais aussi les plus fascinants de l’histoire européenne. Ce n’est pas un hasard si des dizaines de biographies, romans ou livres d’aventures ont été écrits dont le héros principal est ce roi anticonformiste, grand voyageur, grand conquérant et grand organisateur, qui a réussi à amener la Suède au zénith de sa puissance européenne, mais en même temps de l’user à travers près de deux décennies de guerres, qui ont préparé sa chute future.

Dès son couronnement, à seulement 15 ans, Charles a montré son désir d’imposer sa volonté à tous ses sujets, omettant le serment d’allégeance et se couronnant seul.

Le célèbre portrait du roi de Suède Charles XII

En 1699, la coalition des pays environnants (Russie, Danemark et Pologne), qui comptait sur la jeunesse et l’inexpérience du jeune roi, conduisit, par des attaques contre la suprématie suédoise dans le monde balte, au déclenchement de la guerre du Nord, qui dura plus de vingt ans.

Le génie militaire de Charles s’est immédiatement manifesté dans les campagnes victorieuses contre le Danemark, la Russie, la Courlande et la Pologne. 

En 1708, en vue de la guerre qu’il prépare contre son principal adversaire, le tsar Pierre le Grand, Charles XII établit une alliance avec Mazeppa, le chef des cosaques, après quoi il envahit la Russie. Malheureusement, l’armée de Charles, fatiguée après tant de campagnes, avec un chef blessé qu’il fallut transporter sur une civière jusqu’au champ de bataille, fut détruite à Poltava.  

Charles et ses compagnons durent se réfugier dans les territoires appartenant au sultan et ainsi il se retrouva pendant près de six ans dans une sorte de “résidence surveillée” à Bender, en Bessarabie (aujourd’hui Tiraspol). Quant à Mazeppa, mort de vieillesse à l’âge de soixante-dix ans, il fut enterré dans l’église Saint-Georges de Galaţi, construite en 1665. 

Très vite, Charles devient un invité indésirable à Bender, car tous ses efforts pour déclencher un conflit permanent entre le sultan et Pierre Ier se soldent par un échec.

Enfin, après la signature du traité de paix de Pruth en 1711 entre l’Empire ottoman et la Russie, le sultan tente par tous les moyens de se débarrasser de cet hôte compromettant. À un moment donné, en 1713, une armée entière fut envoyée pour expulser Charles, mais lui et ses quelques compagnons se défendirent si farouchement que les Turcs durent mettre le feu à la maison où ils s’étaient barricadés pour les forcer à la quitter. 

Ainsi, le roi de Suède fut fait prisonnier et conduit à Adrianople, d’où, encore une fois, il ne voulut pas partir, prétendant, pendant un an, qu’il était malade. 

Finalement, en 1714, contraint par la situation désastreuse de la Suède, Charles décide de quitter l’Empire ottoman et de retourner dans ses possessions.

Pour cela, il organisa une procession secrète, à l’aide de laquelle il allait traverser toute l’Europe jusqu’à Stralsund, ville où l’attendaient ses armées. 

Différents témoins de l’époque, dont Aubry de Montraye, un Français, Mihail Guboglu, un Turc, et le boyard roumain Radu Popescu, décrivent les aventures du roi suédois dans sa fuite à travers l’Europe et, en particulier, la traversée de la Valachie et de la Transylvanie.

Il paraît que le roi Charles, qui était chauve et imberbe, bien qu’âgé seulement de trente ans, et 14 de ses capitaines, portant de grandes barbes, des perruques noires et des chapeaux richement décorés, formèrent cinq compagnies distinctes, au milieu desquelles ils se cachèrent dans des groupes de trois personnes, et repartaient sur la route, changeant à chaque fois l’ordre du convoi. Ainsi, personne ne savait dans quel groupe se trouvait le roi et il put traverser la Valachie, la Transylvanie, Buda, Vienne et, à travers les provinces allemandes, atteindre la Poméranie jusqu’à Stralsund, au bord de la mer Baltique, en seulement 21 jours. 

Une plaque en bronze rappelle le passage du roi Charles XII en plein centre de la ville de Budapest

Voltaire, le célèbre chroniqueur de l’histoire de Charles XII, raconte qu’après être passé par Târgovişte, le roi aurait réuni sa suite dans une grange et « aurait dit à chacun de ne pas s’inquiéter pour sa personne et de se retrouver au plus vite à Stralsund, en Poméranie, au bord de la mer Baltique, à environ 300 lieues de l’endroit où ils étaient. Il n’a emmené que Düring avec lui et a joyeusement quitté la suite, abasourdi par la peur et la tristesse dans son âme ».

Lorsqu’il arriva à Stralsund, il paraît que les pieds du roi étaient tellement enflés que ses bottes, qu’il n’avait pas enlevées depuis 14 jours, durent être coupées au ciseau.  

Le séjour du roi de Suède dans la région roumaine a laissé un souvenir à Bucarest, qui a dominé la ville pendant plus d’un siècle et demi.

Il semble que la tour Colţei, construite en 1715, ait été construite par des soldats suédois des troupes du roi Charles XII. Le nom proviendrait de « Sandu Colțea, l’un des officiers les plus fidèles de Charles XII », comme l’affirme Nicolae Iorga, grand historien roumain. 

Photo de la tour vue de la cour du palais Soutzo avec le portail inchangé jusqu’à aujourd’hui

Au lieu de cela, Gion, dans “Histoire de Bucarest” écrit que le terrain où la tour a été érigée appartenait à un certain Radu Colțea. 

En tout cas, la forme et le style inhabituels pour la tradition architecturale du pays roumain ont déterminé différents spécialistes de l’histoire, tels que Franz-Iosef Sultzer ou Al. Tzigara-Samurcaş, à faire campagne pour ou contre l’origine suédoise du monument. 

Malheureusement, il faut aujourd’hui se contenter des dessins ou photographies d’époque qui la représentent, car la tour a été démolie en 1888, après un rapide débat entre historiens, dont divers universitaires ou personnalités de culture, qui a conduit à la conclusion que « l’importance historique étant nulle, je pense que l’importance artistique est encore moins digne de considération », comme le disait l’académicien Gheorghe Sion. 

Et il ajoute : « Je n’ai aucun doute qu’un jour même l’Église de Colțea connaîtra le même sort, ce qui devant l’hôpital actuel est un anachronisme de nos jours… Alors n’hésitez pas, Pères de la Capitale, mettez bas ce qui est laid et absurde. Abattez les églises qui menacent de tomber ou sont mal placées ; à leur place construisez d’autres tours, d’autres églises aux formes et éléments monumentaux comme l’exige l’esprit du siècle”. 

Pour mémoire, le maire de la capitale à cette époque était Pache Protopopescu, dont Bacalbaşa écrit qu’il avait “des qualités de bon administrateur, mais manquait de sens artistique“. Et dont la mémoire est aujourd’hui ravivée par le nom d’un des principaux boulevards de Bucarest ! 

* * * 

Mais les relations du roi Charles XII avec le monde roumain ne se sont pas arrêtées avec son retour en Suède. 

Pendant son séjour à Bender, Charles avait grand besoin d’argent pour entretenir sa cour qui l’entourait depuis tant d’années. 

Au début du séjour, la Sublime Porte, qui voyait en Charles XII un allié potentiel contre la Russie, lui avait accordé, en plus de l’asile, une rente de 500 florins par jour. Le roi non seulement commença à dépenser des sommes importantes pour toutes sortes de fantaisies, mais entretint même à Istanbul un “lobby” d’intrigants afin d’obtenir l’intervention militaire de la Turquie contre la Russie. Il semble que la favorite du sultan elle-même était excitée et impressionnée par cet homme terrible et impétueux qu’elle appelait “mon lion”, et la foule turque l’admirait et l’appréciait comme un véritable héros légendaire. 

Lorsque, enfin, la guerre entre la Russie et la Turquie fut déclarée, après une campagne rapide, l’armée russe, réduite à 30 000 hommes, fut encerclée entre le Pruth et le Danube, sans aucune chance d’échapper. 

Une fresque de la gare de Genève, installée dans les années 1920, représente symboliquement la ville de Bucarest à travers… l’image de la tour Colței, aujourd’hui disparue (photo rezistenta.net)

Lorsqu’il a appris la catastrophe qui attendait l’armée russe, Charles a sauté sur un cheval, parcouru 50 lieues, traversé le Pruth à la nage dans l’espoir de se venger. Arrivé à la tente du Grand Vizir alors qu’il négociait avec Pierre le Grand un armistice censé permettre aux Russes de se retirer sous certaines conditions, Charles était tellement en colère qu’il a agressé verbalement et physiquement le dignitaire turc, entre autres en arrachant son caftan. 

Après la signature du traité de paix avec la Russie, la Sublime Porte a supprimé la rente versée au roi de Suède, réduisant sa garde à 300 soldats. Ce n’est qu’après l’intervention de l’Angleterre et de la Prusse que la Turquie a recommencé à payer ses dettes et les annuités au roi.

Entre-temps, la situation économique et militaire de la Suède étant devenue catastrophique, le roi, ne pouvant compter sur l’aide matérielle de son pays, dut faire appel aux différentes collectivités locales pour emprunter de l’argent. C’est ainsi qu’il accumule des dettes importantes envers les communautés arméniennes, tatare et juive. 

Après le retour du roi dans son pays, la communauté juive décide d’envoyer une délégation en Suède pour obtenir le recouvrement des sommes empruntés.

Ce n’était pas facile non plus, car à cette époque les Juifs n’étaient pas autorisés à s’installer en Suède. Cependant, le roi donna une autorisation spéciale, qui permit aux délégués de s’installer et de pratiquer leur religion. L’opération de remboursement prenant une éternité, les délégués furent autorisés à faire venir leurs familles, et même à ouvrir une école religieuse pour l’éducation des enfants. 

Finalement, il a fallu près de vingt ans pour que toutes les sommes dues soient récupérées. Entretemps, le roi Charles XII était mort, en 1718, lors du siège de la forteresse de Fredriksten en Norvège. Mais ses descendants ont reconnu les dettes et les ont honorées.

Après quoi toute la délégation de la communauté juive de Bender est retournée en Bessarabie !

* * *

Au centre d’Helsinki, à quelques centaines de mètres de l’Esplanade qui marque la zone de promenade chic de la ville, dans un bâtiment en pierre au style lourd de l’architecture scandinave de la fin du XIXe siècle, se trouve le restaurant nommé d’après le roi Charles XII de Suède. Il est vrai qu’au XVIIIe siècle la Finlande était occupée par la Suède, mais le fait que le roi Charles ait combattu toute sa vie contre la Russie est un élément suffisant pour s’attirer la sympathie des Finlandais. Il est même devenu un symbole pour de nombreux “skinheads” ou autres extrémistes de droite.

La façade à Helsinki du restaurant “Ravintola Kaarle XII”

En tout cas, la discothèque située au sous-sol du même immeuble attire beaucoup de jeunes “dans le coup”.

Bien sûr, l’énergie exceptionnelle du jeune roi aurait pu trouver une compensation dans la pratique des danses modernes. Et peut-être qu’ainsi l’Europe aurait évité vingt ans de guerres ! 

Mais nous entrons ainsi dans le domaine des hypothèses, ce qui peut nous amener à la question :

Charles XII n’a-t-il pas refusé de quitter la Moldavie, pendant six ans, juste à cause de sa faiblesse pour… des « sarmale » ?

Adrian Irvin ROZEI
Helsinki, octobre 2001

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A suivre…

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