Feuilles de journal
Montpellier, le 6 Avril 2016
« Il faudra qu’un beau jour je l’étripe,
toujours en vertu des grands principes,
mais que je le fasse élégamment,
en vertu des grands sentiments. »Guy Béart
En me promenant dans la ville, je tombe, chez un bouquiniste, sur un exemplaire de « La Petite Illustration » datée du 29 Mars 1930.
Quelle bonne surprise ! En dernière page, parmi d’autres critiques littéraires des livres récemment parus, on parle de « la Russie nue », le volume de Panaït Istrati, sous la plume d’ Albéric Cahuet.
Au moins, nos chers thuriféraires du régime communiste ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas ! Mais, ils ont choisi de fermer les yeux « pour ne pas désespérer Billancourt ! » Les grands sentiments. Que de crimes on commet en leur nom, encore de nos jours !
* * *
Quelques jours auparavant, j’avais trouvé à Bédarieux, dans un hangar sordide où l’on vend des objets ramassés dans le département au profit d’associations caritatives, un livre de Panaït Istrati, imprimé en Mai 1935, dans la collection « Le livre de Demain ». Le volume, illustré par « 40 bois originaux » dans le plus pur style « Art Déco », était vendu pour la somme ridicule de… 2 Euro ! Décidemment, le livre de demain ne fait pas recette !
Le livre était sorti des presses à peine quelques jours après la mort de l’auteur (16 Avril 1935). Et l’introduction est datée « Monastère Neamtz, Juillet 1932 ». Je ne pense pas qu’on se trompe beaucoup en affirmant qu’il s’agit d’un texte testamentaire.
Istrati dit ensuite :
« Mon lecteur, toi qui étais habitué à mon art –quitte-moi ! Je n’ai plus le goût de l’art et, même si je guéris, je n’en ferai plus.
Mais j’ai appris dans Jean Christophe ce que je n’ai pas appris dans tous mes chers Balzac, J’AI APPRIS A PARLER HONNÊTEMENT A L’HOMME QUI CROIT EN MOI. Dans ce Jean Christophe, …, J’AI APPRIS CE QUE DOIT ÊTRE UN ECRIVAIN HONNETTE, ET UN LECTEUR HONNETE…
C’est beaucoup plus que toutes ces barbes de Divine Comédie et même de Faust. Oui, oui… Et puis, il faut que chaque époque trouve ce dont elle a besoin. Je crois que la nôtre, qui est la plus pauvre en œuvres qui visent le zénith, n’est telle que parce qu’elle manque d’œuvres qui enseigneraient à l’homme à être honnête –sans quoi le monde périra. »
Et, plus loin :
« Ne crois pas que je veuille flatter Romain Rolland. Tu nous savais amis. Sache que depuis trois ans nous ne le sommes plus –Pourquoi ? –Oh ! tous ces « pourquoi » ! Quelle importance cela peut-il avoir ? Le triste, c’est que nous ne sommes plus amis »
Panaït Istrati avait trop de pudeur pour avouer que Romain Rolland lui a tourné le dos parce qu’il avait eu l’honnêteté de dire la vérité, au retour de son voyage en Russie soviétique !
Ah, les intellectuels aux grands principes ! Sont-ils vraiment honnêtes ?
Adrian Irvin ROZEI, Montpellier, Avril 2016