A Venise, dans Paris… (III)

19/04/2023

Feuilles de journal

 

En sortant de l’exposition « Ca’ d’Oro », je n’ai pas pu résister à la tentation de revoir les salles de l’Hôtel de la Marine. Même si c’est la quatrième fois en moins de deux ans !

Ma première visite dans ce lieu « mythique » date du 23/06/2021 ! Autrement dit, à peine 13 jours après son inauguration officielle par le Président de la République, comme l’indique la plaque apposée sur un mur, près de l’entrée.

La même plaque, précise : « Ancien Garde-Meuble de la Couronne, il fut le siège du Ministère puis de l’Etat-major de la Marine de 1789 à 2015. »

Mais, cette présentation au raccourci ne détaille pas les innombrables « avatars » du lieu !

Je ne parle pas des décisions contradictoires qui ont jailli à partir du moment où la construction du bâtiment a été prise ; encore moins des malheurs qui l’ont accompagné pendant la Révolution. Ni de sa résurrection, à l’époque du Second Empire.

Mais, des étapes que j’ai pu suivre, pas à pas, à partir du moment où le jour du départ des derniers bureaux du ministère de la Marine commençait à se rapprocher.  

En gros, depuis 2011.

« L’État, propriétaire du bâtiment, envisage un temps de l’affecter à l’accueil de réceptions publiques et privées via un appel à candidatures pour le confier par bail à un opérateur privé mais les oppositions s’élèvent contre une privatisation du patrimoine et l’énième création d’un hôtel de luxe destiné aux séminaires d’entreprises.

Le président de la RépubliqueNicolas Sarkozy impose un moratoire et nomme le 5 février 2011 l’un de ses prédécesseurs, Valéry Giscard d’Estaing, à la tête d’une commission chargée de se pencher sur l’avenir du bâtiment.

La commission rend son rapport en septembre 2011 et propose que le bâtiment reste propriété de l’État pour en faire « une galerie du trésor français », et un espace d’expositions temporaires ou de ventes dans les parties historiques. Elle propose également la création d’un restaurant et d’une boutique/librairie.

Pour les étages supérieurs et les anciens bureaux, elle propose de les offrir à la location après réhabilitation.

 Des bureaux de la Cour des Comptes pourraient aussi être accueillis dans l’hôtel.

Le président Sarkozy suit l’avis de la commission et engage un appel à projets auprès du musée du Louvre et du Centre des monuments nationaux (CMN). Les deux projets doivent viser à ouvrir au public les espaces les plus prestigieux du bâtiment après remise en état.

Le projet du Louvre prévoit d’y présenter les collections de plusieurs institutions, dont le Mobilier national, la manufacture de Sèvres ou le musée des Arts décoratifs. Tandis que le Centre des monuments nationaux envisage un projet plus innovant dans l’approche prévoyant une remise en contexte d’un appartement de réception au xviiie siècle. »

Il faut dire que, en visitant le musée et en découvrant ce qu’est devenu l’Hôtel de la Marine, on peut se poser la question : « Pourquoi tant d’années d’hésitations ? Pourquoi tant de « solutions » les unes plus farfelues que les autres ? »

Mais, il faut croire que le bon sens élémentaire n’est pas le point fort du monde politique !

En tout cas, le résultat est saisissant !

Non seulement que cet endroit met en valeur le savoir-faire des artisans français de notre époque, mais il raconte une histoire (plus ou moins) attachée au passé de l’endroit.

Il s’agit de celle de Marc-Antoine Thierry, baron de Ville-d’Avray.

Celui-ci, est né le 29 décembre 1732 à Versailles et mort le 2 septembre 1792, tué à la prison de l’Abbaye (sur le boulevard Saint-Germain dans le quartier Saint-Germain-des-Prés) à Paris.

Son histoire nous intéresse parce que :

« Le 16 août 1783, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray obtient la survivance de la charge de commissaire général de la Maison du Roi au département du Garde-meuble de la Couronne.

Le 27 février 1784, il reçoit le brevet nécessaire pour exercer la charge en titre après que l’intendant, Pierre-Elisabeth de Fontanieu, a demandé à se retirer en raison de sa santé déclinante.

Dès le début de son administration, il rédige un nouveau règlement pour les commandes, les prêts de meubles et la gestion de l’établissement, signé par le Roi le 7 février 1784. Au lieu de commander les meubles à des artisans indépendants, il choisit de s’adresser à une régie placée sous la surveillance du sculpteur Jean Hauré : y œuvraient l’ébéniste Guillaume Benneman, les menuisiers Jean-Claude Sené et Jean-Baptiste Boulard, les sculpteurs Nicolas Vallois et François Chatard, les bronziers Pierre-Philippe Thomire, Etienne-Jean Forestier et André Ravrio, le tapissier Claude-François Capin.

Intendant du Garde-Meuble de la Couronne à l’Hôtel de la Marine de 1784 à 1792, il y loge avec sa famille. »

Par la suite, l’activité et la triste fin de l’intendant du Garde-Meuble prend des allures rocambolesques. Encore aujourd’hui, on ne sait pas très bien s’il a été fidèle à la Couronne, tentant par tous les moyens de protéger ses biens, un agent cherchant à aider la Restauration ou, tout simplement… un fonctionnaire vénal !

En 1971,

« (un) rapport d’inventaire ne révèle aucune disparition des joyaux de la Couronne mais un manque de portions d’or.

 Le baron Thierry de Ville d’Avray est soupçonné, à raison. Appelé à la barre de l’Assemblée Nationale, il lui est enjoint de se tenir « aux ordres des commissaires ». Désormais surveillé, lors des troubles du printemps 1792, il aménage un meuble dans ses appartements pour cacher neuf coffrets comprenant les trois quarts des joyaux (dans quel but ? Les protéger d’éventuels pillages ? Aider la contre-révolution ? Simple vénalité ?).

Après la prise des Tuileries, des scellés sont posés sur les administrations pour éviter les vols. Le baron Thierry est arrêté et emprisonné, son beau-frère Lemoine-Crécy qui a la charge de garde général de la Couronne, remet les coffrets aux autorités de la Commission des Monuments.

Le procès-verbal de récolement mentionne qu’ils n’ont pas été ouverts, d’où la rumeur, semble-t-il fondée, qui veut que Thierry ait, sous le prétexte d’opérations de retaille ou de réparation, vendu en secret des diamants à des joailliers hollandais, par l’intermédiaire des banquiers Vandenyver. »

En tout cas, ce qui nous intéresse aujourd’hui est le choix des restaurateurs afin de rendre les appartements dans un état si proche que possible de celui qu’a connu Thierry de Ville-d’Avray. Ce qui n’a pas été une mince affaire ! 

Il a fallu faire appel à des mécènes, parmi lesquels la Al Thani Collection Foundation ou Rolex France. Sans parler du Palais de l’Elysée qui a « rendu » un buffet crée pour l’intendant par Riesener !

Parmi les exploits réalisés à cette occasion, on peut mentionner la restauration de la salle à manger, avec ses murs couverts de tentures de soie blanche peinte, ou la reconstitution d’une table de fin de déjeuner d’huitres. 

Par moment, on peut se demander « si c’était vraiment comme ça ? »

Il suffit de visiter les rares endroits « restés dans leur jus » et protégés des attaques du temps pour des raisons… inattendues, comme le théâtre du Château de Drottningholm, en Suède, ou celui de Český Krumlov, en Tchéquie, pour en avoir le cœur net !

Bien sûr, à ma première visite, j’ai passé des heures à « analyser » chaque meuble, chaque tableau, chaque sculpture… voire, même, les motifs et couleurs des tentures. Sans oublier les pendules, avec leur balancier, une autre de mes « folies » !

Mais, par la suite, j’y retourne « en dilettante » pour retrouver l’atmosphère du temps jadis. Ce n’est plus « un musée » ! C’est une vraie « tranche de vie » !

Et, l’un de mes grands plaisirs est de m’installer au bout de la Grande Loggia qui donne sur la Place de la Concorde. J’y vais toujours juste avant la fermeture du musée, pour être seul et pouvoir admirer, d’un œil, l’alignement des colonnes classiques, et de l’autre, la folle circulation sur la Place, avec, en arrière-plan… la tour Eiffel ! Le plus souvent, avec un « baladeur » et des CD de musique baroque !

Et je me dis que, le roi de France, aussi « roi » qu’il était, n’aurait pas pu jouir de cette vue ! 

*    *    *

En sortant de l’Hôtel de la Marine, j’ai longé le trottoir vers l’arrêt du bus 72. Il se trouve juste en face de l’Hôtel de Crillon.

Pour mémoire : 

«  En 1758, le roi Louis XV commande à son architecte Ange-Jacques Gabriel la réalisation sur ce qui est alors la place Louis XV, de deux façades identiques de part et d’autre de la rue Royale.

La façade orientale est d’emblée occupée par le Garde-Meuble de la Couronne, devenu ensuite l’hôtel de la Marine, tandis que la façade occidentale est vouée à être occupée par l’hôtel des Monnaies. L’emplacement de ce dernier est en définitive jugé trop éloigné du quartier des affaires et un arrêt du Conseil du roi décide que le nouvel édifice doit s’élever à son emplacement actuel sur le quai de Conti.

Le terrain situé derrière la colonnade occidentale est alors divisé en quatre lots qui sont cédés à des particuliers, à charge pour eux d’élever des hôtels particuliers derrière la façade de Gabriel. »

Ici, la foule se pressait pour admirer plusieurs voitures « de collection ».

L’Aston Martin ne faisait pas un grand succès !

Mais, la Peugeot 9X8 de course, avec les stickers de tous ses sponsors, attirait tous les regards des passants.

C’est, aussi, une forme d’art… moderne !

Je n’ai pas eu le temps d’entrer faire un tour dans « l’Hôtel de Crillon ».

C’est ce que je fais… le plus souvent possible : je dois m’imprégner de la vue du décor de cet autre hôtel mythique … en vue du jour où l’on décidera de vendre le mobilier… pour faire « moderne » ! 

Le bus 72 est arrivé. Cette fois-ci, le parcours de retour vers la maison traverse, surtout, le XVIe Arrondissement de Paris. D’autres vues touristiques parisiennes, en longeant la Seine !

En arrivant à la Porte de Saint-Cloud, je me suis dit que, le temps d’un après-midi, j’avais traversé plusieurs siècles et l’histoire artistique la plus brillante de l’Europe. 

Combien d’endroits dans le monde nous permettent d’en faire autant ?

C’est vrai que Paris… « ça se mérite ».

Mais, ça vaut la peine !

 

Adrian Irvin ROZEI

Paris, avril 2023

A suivre…

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