A. E. I. O. U.

Au centre de la ville de Budapest, les visages austères de l’Empereur François – Joseph et du Roi Carol I de Roumanie, entourés par la Reine Elisabeth, le prince Ferdinand, la princesse Marie de Roumanie et le prince d’Edinburgh – te regardent des multiples panneaux publicitaires, qui informent les touristes sur les activités culturelles de la capitale hongroise.

La photo a été prise au Château de Pelesh à l’occasion de la visite de l’Empereur austro-hongrois en Roumanie en 1896 et sert d’affiche à l’exposition : « Le siècle Habsbourgeois – Photos d’un Empire » présentée dans le cadre du Musé Ethnographique de Budapest entre 16 Mai et le 1er Juillet 2001.

Dans une série de plus de 200 photos d’époque, les organisateurs essaient de donner l’image la plus variée du « siècle habsbourgeois », qui coïncidait avec le règne de François – Joseph entre 1848 et 1916.

Les documents photographiques proviennent surtout du Musée Photographique « Fratelli Alinari » de Florence, la plus importante collection de photos d’Europe.

Les trois frères Alinari, Leopoldo, Giuseppe et Romualdo, ont créé la société photographique qui porte leur nom à Florence, en 1852. Tout au long du 19eme siècle et la première moitié du 20eme siècle, la société a accumulé des documents photographiques qui représentent non seulement les personnages politiques importants de l’époque, mais aussi des vues générales, des paysages, des œuvres d’art, des personnalités artistiques, mais surtout des scènes de la vie de tous les jours. Une véritable « archive de la planète » avec plus de 150 000 photos, qui continue à être actualisée de nos jours.

A partir de 1985, le Musée « Fratelli Alinari » a été ouvert au public et a présenté aux amateurs environ 700 000 images originales sous toutes les formes qu’a revêtu la photo depuis ses débuts jusqu’à nos jours : des albumines, des bromures, des calotypes, des daguerréotypes, des stéréoscopies, etc.

"Câmpina... Transilvania (!)" –en réalité en Valachie- avec ses puits de pétrole, dans la Collection Alinari

“Câmpina… Transilvania (!)” –en réalité en Valachie- avec ses puits de pétrole, dans la Collection Alinari

L’exposition présentée à Budapest est seulement la deuxième étape d’un long chemin commencé l’année dernière par une première présentation à Trieste.

Considéré comme un évènement muséographique d’exception, on peut s’attendre à ce qu’elle passionne le public de bon nombre de pays européens et surtout est – européens. Surtout que ces derniers temps on entend de plus en plus de commentaires du genre : « Fallait-il supprimer l’Empire austro-hongrois ? »

Il est vrai que cette puissance, à un certain moment mondiale, a dominé le centre de l’Europe plusieurs siècles. Dans sa dernière période d’existence, elle contrôlait 666 868 km2 et dirigeait les destinées de 8 millions d’Allemands, 5,5 millions d’Hongrois, 5 millions d’Italiens, 4 millions de Tchèques, 3 millions de Ruthènes, 2.5 millions de Roumains, 2 millions de Polonais, 2 millions de Slovaques, 1,5 millions de Croates, 1 million de Slovènes, 750 mille Juifs, plus de 500 mille Tziganes, Arméniens, Bulgares et Grecs.

Photo officielle de la visite de l’Empereur François-Joseph à Sinaia, entouré de la famille royale de Roumanie, sur la couverture du livre accompagnant l'exposition

Photo officielle de la visite de l’Empereur François-Joseph à Sinaia, entouré de la famille royale de Roumanie, sur la couverture du livre accompagnant l’exposition

Une grande partie de ces populations se sont constituées au  20eme siècle en « Etats nationaux »,  générant les conflits que nous rencontrons aujourd’hui dans les Balkans. L’idée de l’époque, copiée d’après le modèle de l’état centralisé français, était la création de « l’Etat Nation », dont l’essence était, au fond, déjà dépassée à la fin de la Première Guerre Mondiale. Il a fallu que les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale réveillent les consciences pour que l’idée d’ «  Union européenne » commence à faire son chemin dans l’esprit des contemporains, et que la chute du « mur de la honte » permette l’extension de cette idée « de l’Atlantique à l’Oural ».

Mais, comme disent les Français : « Qui trop embrasse, mal étreint !».

Visite de l’Empereur à Buziaș (aujourd’hui en Roumanie)

Visite de l’Empereur à Buziaș (aujourd’hui en Roumanie)

Est-ce que cette nouvelle « tour de Babel » ne serait pas un mariage entre « un canari et un hareng saur » ? Est-ce qu’il ne serait pas préférable de nous contenter d’abord d’intégrations régionales qui pourraient préparer la « Grande union » ?

Voilà ce que je pensais en regardant les photos de l ’Exposition Alinari à Budapest.

Et, instinctivement, je comparais les images des marchés de Prague en 1900 avec celles de Trieste, la photo du pont de Cernavoda sur  le  Danube avec celle de la gare de Salzburg, ou l’image des ouvriers des mines de sel de Slanic en Transylvanie avec celles de la garde autrichienne en train de se reposer,  buvant de  la bière, dans les rues de Santa Lucia, en Istrie.

Au fond, ils se ressemblaient tous et ils auraient pu  supprimer les frontières il y a plus de cent ans !

Le seul mystère reste le contenu du message qu’un enfant d’environ cinq ans en costume de ville, mais pieds nus, transmettait à l’Empereur pendant les manœuvres militaires de Buzias en 1898.

Mais cela  nous ne le saurons jamais !

Budapest,  Mai  2001

* A E I O U – Austria Est Imperare Orbi Universum: l’orgueilleuse devise de la Maison d’Autriche

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